Un petit tour de Gaspésie …

— Tu es donc bien vaillante !

Elle doit bien compter plus de 65 ans.  Tout en me lançant cette phrase, elle m’offre un doux et aimable sourire qui m’effleure comme une caresse. J’ai les sourcils qui froncent dans un mouvement d’étonnement.  Vaillante ?  Vraiment ?  C’est plutôt elle que je trouve vaillante, elle qui se trouve là, dans le parc du Bic, sur le sentier du pic Champlain, sentier pédestre de seulement trois kilomètres, mais considéré vers sa fin comme franchement difficile.

La vieille dame se penche au-dessus de ma fille qui aussitôt se met à gazouiller.   Ce n’est ni une personne aigrie par la vie ni par la solitude.  La vieillesse n’amenuise en rien ses élans et ses envies.  De fait, elle semble mordre dans la vie, littéralement.  C’est le genre de grand-mère que tout le monde aurait souhaité avoir ; qui se penche le soir au-dessus de votre lit pour vous raconter de sa chaude voix une histoire …  Voilà sans doute pourquoi il fut si aisé pour moi de me confier.  Arrivée au terme de mon petit périple en Gaspésie avec ma fille de sept mois, un mélange de fatigue et d’allégresse demandait vivement à être partagé.

Cette phrase, j’ai dû l’entendre près d’une dizaine de fois.   « Tu es donc bien vaillante ».  Une dizaine de fois et je ne la comprends toujours pas.  Je n’y crois simplement pas.

De par ces deux dames à Sainte-Luce-sur-Mer alors que je marchais dans la vase, ma fille sur la poitrine, à marée basse ;  par cet homme affable à Capucins qui insistait pour que nous dormions dans son Westfalia et qui ne comprenait pas que je décline sa généreuse offre ; près de Gaspé, où un américain est venu à ma rencontre l’air déconfit :  « Sorry, we watched you, my cousin and I, put up your tent while the baby play just on your side … what a mom !  Are you really by yourself ? »

Un mélange d’étonnement, de fierté et de sidération me traversa en entendant cette question.  Un peu comme quand j’avais dix-neuf ans et que je découvrais l’Europe « by myself » pour la première fois.  Malgré tous les avancements extraordinaires de notre société actuelle, il est malheureusement considéré comme extraordinaire, anormal sinon carrément irresponsable d’être « by yourself » quelque part lorsqu’on est une jeune femme, et ce, encore plus avec un jeune bébé.   Et pourtant, je suis seulement au Québec…

 

 

Nous sommes au mois d’août de l’été dernier.  J’ai vingt-neuf ans.  Ma fille sept mois. Et sur un coup de tête, j’ai décidé de faire le tour de la péninsule gaspésienne.  Un faible budget m’a rapidement fait privilégier l’option camping.  Arrivée à Rimouski, il me manquait toujours une tente.  Un jeune homme à l’auberge de jeunesse m’en a vendu une usagée pour vingt dollars.  Elle n’est pas belle la vie ?

Notre parcours de dix-sept jours fut ponctué d’air salin, de rochers escarpés, de plages rocailleuses et de belles rencontres.  Un bébé, en particulier une fillette rousse, attire.  Et surtout, ça l’attendrit.   Résultat ? Entre autres, une magnifique soirée avec trois motards à partager une ou deux bouteilles de vin.  Trois hommes durs qui, s’émouvant devant ma fille, ont ouvert leurs cœurs et m’ont longuement parlé de leurs peines d’amours et de leurs enfants qu’ils avaient, avec désolation, bien peu connus.  Voyager seule favorise toujours la création de liens et de rencontres.  Avec un bébé, on dirait que cette affirmation se voit décuplée…

La vaillance, je peux peut-être la concevoir quant à la fatigue. Oui, j’étais fatiguée le soir après avoir roulé plusieurs heures, m’être arrêtée, avoir débarqué la petite de la voiture trop pleine, contemplé le paysage et humé l’air salin (qui lui aussi éreinte), préparé les biberons, les purées, rembarqué la petite, visité tel village, trouvé un endroit où nous installer, monté la tente, préparé son souper, le mien, remballé tout le lendemain matin, démonté la tente, etc.  Sans mentionner les dents qui percent, les pleurs de fatigue, les couches à changer, les caprices qui commencent et tout ce qui est propre à la vie de bébé.  Oui, au terme de ces journées, j’étais fatiguée.  Mais le cœur quant à lui était franchement léger ! Et c’est ça qui est si bon.

Au bout du compte, je n’aurais pas sensiblement fait la même chose chez moi ?  L’aventure en moins, en attendant ?  En attendant quoi exactement ?  Que mon chum soit disponible ?  Et pourquoi ?  Pour moi, il n’est plus question d’attendre.  Je suis malheureuse dans l’attente, ça me gruge de l’intérieur.  J’ai trop besoin de mouvement.  Besoin de m’illusionner encore un peu, me faire parfois croire que j’effleure du bout des doigts cette liberté que je chérissais tant.  Et ce, bébé ou pas !

Un bébé ne limite pas.  Il change le rythme.

La nuance est franchement importante.

C’est vrai que seule c’est un peu plus compliqué.  D’accord, je n’ai peut-être pas pu descendre une rivière à saumon en kayak ou faire du parapente au mont Saint-Pierre. Et puis après ?  J’ai mangé une délicieuse chaudrée de fruits de mer à la marina de Carleton-sur-Mer, été sur l’île de Bonaventure contempler et écouter la plus importante colonie de fous de Bassan au monde, marché abondamment sur les plages rocheuses, fait quelques randonnées pédestres quand même, admiré l’artisanat local d’une dizaine de villages, dormi à la belle étoile et je peux maintenant dire qu’il y a bel et bien un trou dans un rocher à Percé.

Je reviens avec en moi l’envie de crier à toutes les mères du monde, qu’elles soient monoparentales ou non, que c’est possible !  Que votre enfant il n’est pas si fragile que ça et qu’il s’accommode bien plus que vous ne pouvez le croire.  Que vous devez simplement avoir confiance en vous.  Que je suis loin d’être vaillante.  Je suis plutôt entêtée et un tantinet étourdie.   Que je n’avais pas envie de passer l’été à Montréal à chercher un brin de vert dans les parcs.  Que je voulais jouer dans la terre, alors je suis allée travailler à une ferme biologique avec mon bébé durant six semaines.  Et qu’ensuite j’avais soif de mer…

Le véritable courage c’est peut-être tout simplement ça au bout du compte.  Apprendre à s’écouter, à se faire confiance et à repousser ses limites.

Ma fille m’offre un « Oh » contemplatif devant la beauté du littoral et de la mer qui s’étend maintenant à perte de vue.   À peine essoufflée, la vieille dame nous rejoint et laisse à son tour son regard se perdre dans la vastitude de cette étendue d’eau salée.

– Tu sais ce que tu lui offres présentement à ta fille ?  Tu lui démontres déjà que le monde est sans limites.  Les limites, c’est bien souvent nous qui les créons.

– Vous croyez vraiment?  Ce n’était qu’un tout petit tour de la Gaspésie…

Un tout petit tour de la Gaspésie.  Qui s’achève comme une boucle qui se referme sur les sages paroles d’une vieille dame.

Et ça ne fait que commencer …

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3 commentaires pour Un petit tour de Gaspésie …

  1. Michel Desroches dit :

    Hola Marie-Eve

    Woooow
    Je suis impressionné, ne lâche pas tu écris très bien
    Je vais te suivre
    Hasta luego
    Michel xx

  2. Ping : Entre terre et mer | Como la Espuma

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